L’agence régionale de la Fondation Abbé Pierre ouvre le champ sur un travail
d’enquête et de reportage photo donnant à voir la multiplication de refuges
précaires sur la Métropole de Lyon. Ce travail a été réalisé avec le concours
de la permanence d’accès aux droits, Association ALPIL qu’elle soutient et
du collectif item.
Nous avons voulu porter un regard sur la débrouille à laquelle est réduit bon
nombre de ménages précaires sur l’agglomération lyonnaise, qui ne trouvent
plus de place dans le parc privé trop cher, et pour qui l’attente d’un logement
dans le parc social ou d’un hébergement, nécessite de trouver un abri ici et
maintenant pour éviter la rue.

L’habitat refuge(s), de quoi parle-t-on ?

La Fondation Abbé Pierre Auvergne-Rhône-Alpes a sollicité l’Alpil, en 2018, afin de travailler à une meilleure identification de pratiques émergentes ou ré-émergentes de ménages précaires ou en détresse contraints de trouver un refuge, que l’association commençait à repérer depuis sa permanence d’accueil des personnes en difficulté de logement.1
L’idée poursuivie était de pouvoir mieux qualifier ces situations pour lesquelles l’attente ‘disproportionnée’ d’un logement ordinaire amène par défaut à occuper des espaces, à se ‘serrer’ dans des logements déjà occupés ordinairement par un ménage locataire (sous-location, dépannage chez tiers, aménagement d’une chambre dans un garage), voire à mobiliser des habitats qui n’en sont pas (garage, tente, véhicule qui ne roule plus, cabanon de jardin, local commercial, squat/bidonville etc.), tout en mettant en avant les conséquences de cet habitat précaire sur le quotidien des personnes.
Ce travail d’exploration vise à mettre en lumière que, malgré un arsenal juridique dense et protecteur, la saturation des dispositifs d’hébergement, le manque de logements disponibles dans le parc social et l’inaccessibilité du parc privé amènent de plus en plus de personnes à improviser des solutions d’hébergement afin d’échapper à la rue.
Le repérage et la qualification de ces situations silencieuses, souvent invisibles, ont été menés durant deux années, sur la base d’un questionnaire d’entretien et de matériau compilé pour 50 situations identifiées par l’Alpil.
Notre analyse cible donc les ménages qui, dans l’urgence et faute d’accès au droit commun, déploient pour se loger des solutions d’habitat inadaptées par nature à l’habitation ou inadaptées par leur usage à leurs besoins personnels et familiaux. Cette solution d’habitat refuge est alors leur seule alternative à la rue et constitue un minimum de protection pour être en sécurité.
Les constats dressés à l’issu de ce travail d’exploration sur les conséquences du mal-logement et sur le non-respect des autres droits fondamentaux, ne se veulent pas exhaustifs, ils ne sont que l’illustration des situations rencontrées par l’association dans le cadre de ses différentes activités.
Les personnes rencontrées à l’occasion de ce travail occupent des habitats précaires souvent indécents, sur-occupés ou insalubres, imaginés hors de tout cadre légal et de la sécurité que le logement devrait procurer. Conçues pour une courte période, ces formes d’habitats refuge(s) s’inscrivent majoritairement dans la durée entraînant ainsi une remise en cause en cascade de nombreux autres droits fondamentaux. En effet, en l’absence de logement digne, ce sont le droit à la santé, au travail, à la vie privée et familiale qui sont bafoués également.

1 La Maison de l’Habitat accueille annuellement 3000 ménages rencontrant des difficultés de logement sur la Métropole de Lyon
et le département du Rhône. La Fondation Abbé Pierre soutient le volet Permanence d’accès aux à la Maison de l’habitat et promeut la
prise en compte des personnes les plus exclues des dispositifs de réponses d’habitat au sein de la Métropole de Lyon

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Habitats refuge(s) état des lieux du parc locatif lyonnais – par la Fondation Abbé Pierre

La Métropole de Lyon et, en particulier l’hyper-centre lyonnais, se caractérisent par une forte attractivité et une très bonne image avec une valeur patrimoniale des logements forte. Dans un contexte national très favorable à l’acquisition de logements (taux d’intérêt historiquement bas), les prix de l’immobilier à l’achat flambent sur le marché neuf, impactant également le parc ancien qui abrite, massivement, le parc locatif privé.

En découle une première incidence : des logements qui sont financièrement trop chers.
A l’achat, les prix de vente en moyenne des appartements s’envolent : 4 170€/m2 à Lyon (+ 27 % de hausse en 5 ans), 3 290€/m2 en moyenne sur la Métropole de Lyon, quand ils avoisinent plutôt 2 150€/m2 en moyenne à Grenoble.1
A la location 2, sur le parc privé, il coûte 2 fois plus cher de louer un logement privé à Lyon-Villeurbanne qu’à Firminy 3. Le parc social proposant des niveaux bas voire très bas de loyer (inf. à 5,5€ ou 4,5€/m2) a quant à lui diminué de plus de 21 000 logements sur le Rhône sur les 4 dernières années. 4

La deuxième incidence de cette situation attractive de l’agglomération réside dans le manque de logements disponibles pour se loger dans des délais rapides, du fait de la pression sur le territoire de demande de logements supplémentaires (suite à l’arrivée de populations nouvelles), mais également d’une diminution du volume de la construction et d’achats de logement (difficulté à obtenir un permis de construire soumis à recours, des chantiers difficiles à lancer car les entreprises du BTP peinent à répondre aux demandes, une augmentation du coût de la construction, du foncier disponible qui se raréfie…)
Cet état de fait a des effets concrets dans le parc privé où le stock de logements à louer diminue. Le taux de vacance est nul à Lyon, c’est inédit : les locataires hésitent à déménager ou éprouvent des difficultés pour acheter et donc restent dans leur logement. Ainsi, la pression sur le marché locatif se renforce et certaines régies n’ont plus de logement à proposer à des personnes ou ménages en recherche. Ensuite, l’utilisation d’une partie du parc privé locatif en meublés de tourisme et sortant de la possibilité de location annuelle est en augmentation. La ville de Lyon enregistre une hausse des demandes de transformations de logements dédiés à l’habitation en meublés de tourisme, loués partiellement sur quelques mois de l’année (demandes multipliées par 7 en 4 ans) 5. Ces petits logements sortent du marché logement disponible aux personnes qui ont besoin de résider, habiter toute l’année et au quotidien dans la Métropole. 6
Pour ce qui concerne les logements du parc social, les bailleurs sociaux enregistrent une vacance très faible ainsi qu’une baisse de la mobilité des locataires (c’est-à-dire le départ de ménages libérant ainsi un logement pour d’autres ménages), avec comme effet sur 2019 une baisse des entrées effectives de nouveaux ménages sur le parc social.

Tenter de déplier fonctionnement et effets systémiques du marché du logement permet d’identifier les effets à l’échelle de tous les ménages en recherche d’un logement, avec les conséquences dramatiques que ces effets peuvent avoir pour les plus modestes d’entre eux. 3 réalités figurent parmi les effets non vertueux les plus régulièrement observés par les acteurs institutionnels et associatifs :
> Des prix très élevés et le faible volume d’offres de logements qui ne permettent pas l’accès effectif au logement locatif privé pour des ménages très modestes et permet de moins en moins la réalisation de parcours résidentiels pour les ménages modestes et intermédiaires sur les secteurs centraux.
> Une attractivité de territoire qui génère une dynamique de construction et de réhabilitation et qui élimine les niches jusqu’ici financièrement accessibles aux ménages les plus pauvres et tire les prix vers le haut.
> Des ménages pauvres devenant le plus souvent captifs d’un parc de logements indignes ou de logements qui n’en sont pas.

1 Source : Club Habitat- Notaires de France/Métropole de Lyon – date de référence : Juin 2019

2 55 % des ménages de la Métropole de Lyon sont locataires – Source : PLH Métropole

3 Les coûts des loyers restent plus élevés sur Lyon intra-muros : 14 €/m². Les appartements rénovés et meublés sont loués plus chers (notamment les petites surfaces où l’on atteint en 2019 les 25€/m2 pour un studio). Source : Club Habitat – Juin 2019

4 Si, sur la période on a construit de nouveaux logements sociaux, les niveaux de loyers de ces logements neufs ne sont pas assez accessibles aux ressources des plus précaires que le parc HLM existant. Par ailleurs, la réhabilitation et le traitement thermique du parc HLM ancien, si elle génère des économies de charge, entraîne également une augmentation des loyers.
Source : Analyse FAP enquête RPLS, Eclairage régional sur le mal-logement en Auvergne Rhône-Alpes 2020 sur les données 2019.

5 La Métropole de Lyon a délibéré en décembre 2017 pour prendre des mesures et pour endiguer ces transformations qui font perdre des logements à la location (renfort de moyens de contrôle, amendes importantes pour des propriétaires qui transformeraient + de 50% de la surface d’habitation d’un immeuble etc.)

6 Source : Club Habitat/Métropole de Lyon – Données Juin 2019

La charge mentale : Quotidien de la famille M
En ce moment nous dormons dans un squat à Valmy, avec une dizaine d’autres familles. Nous occupons avec mon mari, mes trois enfants dont un bébé de 6 mois et mes beaux-parents une pièce de 15 mètres carrés environ. Pour dormir, nous étendons des couvertures au sol. Nous n’avons pas de matelas. Nous changeons très régulièrement de lieu de vie mais les enfants restent dans la même école car c’est leur seul endroit stable

Le matin je réveille mes enfants à 7h20, ils n’ont pas beaucoup dormi et ils sont fatigués parce que nous rentrons tard le soir et leur petit frère pleure toute la nuit. Ils ne prennent pas de petit déjeuner avant d’aller à l’école. Nous n’avons pas accès à une salle de bain alors ils font une toilette de chat. Il faut partir à 7h55 parce qu’on doit aller de Valmy jusqu’à Perrache. Quand c’est un jour où je dois aller aux Bains-Douches le midi, je dois penser à prendre mes vêtements propres et serviettes
avec moi le matin, je les mets dans la poussette de mon bébé. Pour accompagner mes deux enfants à l’école, on prend un bus et le métro pendant environ 30 minutes. Heureusement j’ai une carte TCL parce que je fais des allers-retours toute la journée et j’ai mon bébé de 6 mois dans la poussette.
Le mercredi quand ils n’ont pas école, nous allons à Debourg aux Bains-Douches pour la douche hebdomadaire. A 8h30, après avoir accompagné les enfants à l’école, je fais le point sur les démarches que je dois faire pendant la journée. A 9h30 j’ai rendez-vous chez le médecin généraliste pour le suivi de ma pathologie. Son cabinet est situé dans le troisième arrondissement, à l’arrêt de tramway Liberté. Aujourd’hui j’ai beaucoup de choses à faire alors j’y vais en transport. Lorsque j’ai du temps
et qu’il fait moins froid, j’y vais à pied. J’attends une heure dans la salle d’attente du médecin.
A 10h30 je dois aller à une distribution hebdomadaire à Part-Dieu pour récupérer des couches, du pain, des compotes, quelques plats surgelés que nous réchauffons sur une petite plaque électrique. Elle n’a lieu qu’une fois par semaine, je ne peux pas la rater. A 11h00, après avoir récupéré les produits, je retourne à Valmy pour poser les affaires et chercher mes beaux-parents qui sont restés au squat pour qu’on aille déjeuner à Part-Dieu, dans un restaurant solidaire.
A midi, du lundi au vendredi, nous allons au restaurant solidaire de Part-Dieu. Les enfants, eux, mangent à la cantine. Le samedi et le dimanche nous devons aller à Charpennes. Mes beaux-parents sont âgés, ils ne parlent pas français alors ils ne peuvent rien faire seuls, ils sont toujours avec mon mari ou avec moi.

Une journée type

Distance parcourue : 37,8 km(soit plus qu’un Lyon-Vienne)
Temps passé dans les transports : 224 mn Soit un peu plus de 3h

Et le Covid est passé par là ! Vivre confinés en habitat refuge(s) – par l’association Alpil
Depuis la rencontre avec le collectif item, certaines familles ont pu accéder à des solutions de logement ou d’hébergement plus stables, d’autres vivent toujours dans une solution d’habitat refuge, la même ou une autre. Le confinement et les mesures d’urgence ont eu des répercussions très variables sur leurs quotidiens : si pour certains cela a permis une mise à l’abri rapide (alors qu’attendue depuis de nombreux mois), ou une augmentation de l’aide alimentaire, pour d’autres, le confinement signifie des baisses de ressources importantes, le report d’une réunification familiale elle aussi attendue depuis longtemps, un isolement renforcé. Les baisses de revenus déstabilisent fortement leurs petits budgets.

Que sont-ils devenus ?
Il y a quelques mois, la famille H a pu intégrer un logement temporaire géré par une association agréée, tremplin pour accéder à un logement pérenne. Le confinement a fortement impacté l’activité professionnelle de Monsieur qui perçoit désormais le chômage, moins élevé que son salaire. La mère de Monsieur qui était venue leur rendre visite avant le confinement est restée chez eux, ne pouvant plus repartir chez elle. Madame J, souvent à Part Dieu a elle aussi pu bénéficier d’un petit logement temporaire avant le début du confinement. La famille C,
également en squat a été hébergée avant le début du confinement dans un village d’insertion.
La famille M, qui dormait sous tente malgré une demande d’hébergement ancienne a été mise à l’abri au début du confinement. Cet hébergement dans un centre collectif a une durée très limitée. Dès la fin du confinement, les centres seront fermés et les familles remises à la rue.
La pérennisation des centres ouverts au début de la crise sanitaire et le maintien des familles ne sont pas prévus. Cette famille a pu bénéficier de tickets repas distribués exceptionnellement.

La poursuite de la débrouille
Avant le confinement, la Famille A a été expulsée du squat dans lequel elle avait trouvé refuge. Aucun hébergement ne leur a été proposé malgré les démarches réalisées. Ils ont intégré un nouveau squat mais leur domiciliation était à Écully et avec les restrictions de circulation, ils ne peuvent plus se déplacer aussi loin pour récupérer leur courrier. Ils se débrouillaient pour se nourrir au début du confinement, mais au fil des semaines la situation s’est dégradée. Ils ont pu bénéficier de tickets repas distribués par la Fondation Abbé Pierre et la DIHAL (Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement). Les tickets repas peuvent être utilisés dans les grandes enseignes, mais plus difficilement dans les petits magasins de quartier, ils doivent donc parcourir des distances plus grandes pour pouvoir les utiliser. Leur fille arrive à maintenir un lien téléphonique avec son institutrice. La famille H est toujours en squat à Feyzin. Durant le confinement, une collecte plus régulière des ordures ménagères ainsi qu’une intervention relative à la qualité de l’eau ont été demandées. De nombreuses familles sont présentes sur le site et le confinement est impossible à respecter dans un tel lieu. De plus, la majorité des familles ne perçoivent plus les ressources gagnées habituellement grâce à des activités informelles.

Une solution de logement stable mais un projet familial déstabilisé par le confinement
Monsieur K a pu emménager dans un logement social. Il suit une formation professionnalisante. Le regroupement familial pour sa femme et ses enfants a été accepté. Il a obtenu, avant le confinement, le visa nécessaire à leur venue. Mais les frontières sont fermées et les vols internationaux actuellement suspendus. Ce visa ne sera plus valable à l’issue du confinement, il devra donc renouveler sa demande, lorsque sa famille pourra enfin voyager. Durant combien de temps ce confinement repoussera-t-il les retrouvailles avec sa famille ?

Retrouvez l’intégralité de l’enquête

Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’enquête dans l’ouvrage « Habitat Refuge(s) » publié par la Fondation Abbé Pierre et le collectif item en cliquant sur l’image ci-dessous

Commande du livre « HABITAT REFUGES »

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